Comment une région aussi moche que celle d’Agra peut-elle contenir d’aussi beaux joyaux architecturaux : Fatehpur Sikri, le fort d’Agra et bien sûr le célébrissime Taj Mahal ??? On en a traversé des villes moches et crades à la circulation cauchemardesque mais Agra remporte la timbale !! Et on n’a pas eu de bol car la semaine où l’on débarque se tenait un congrès mondial d’ophtalmologistes qui ont fait la razzia de toutes les chambres disponibles. Et comme par hasard, Agra était la seule ville en 3 semaines où l’on n’a rien réservé du tout et l’on pensait trouver facilement un hébergement sur place…

Mais avant cela on s’est arrêté à Fatehpur Sikri qui se trouve à 40 km à l’ouest d’Agra et qui fut brièvement la capitale de l’empire Moghol entre 1571 et 1585 durant le règne d’Akbar. On peut y visiter les anciens palaces et pavillons royaux très bien conservés qui forment une ville fantôme.
Un peu plus à l’ouest, se trouve Jama Masjid, une impressionnante mosquée mélangeant style perse et indien. Pour y accéder, on emprunte un large escalier aux marches interminables avant de se déchausser, en restant éberlué devant la monumentale porte de la Victoire, Buland Darwaza, qui culmine à 54m de hauteur ! La cour intérieure est aussi énorme que la porte qu’on vient de passer et on y découvre le tombeau de marbre blanc de Shaikh Salim Chisti qui avait prophétisé à Akbar la naissance d’un héritier tellement attendu (son fils Jehangir). Pour cette raison le mausolée est très visité par des femmes désireuses d’avoir un fils. Encore aujourd’hui en Inde, avoir une fille est toujours considéré comme une “plaie“ par les familles qui doivent constituer une dote pour réussir à trouver un mari ! Mais j’y reviendrai…
Une fois à Agra, on s’est rendu directement au fort qui surplombe la rivière Jamuna qui a également été construit par l’empereur Akbar en 1565. “Simple“ forteresse au départ, il devint un palace lorsqu’il fut complété par plusieurs bâtiments additionnels par Shah Jahan, petit-fils d’Akbar et constructeur du fameux Taj Mahal.
Le fort qui totalise 2,5 km de circonférence impressionne par ses doubles remparts de 20m de haut entre lesquels sont astucieusement placées des fosses aux crocodiles et autres animaux sauvages pour dissuader les envahisseurs qui auraient réussi à passer la première défense ! Une fois à l’intérieur, on retrouve l’habituelle entrée en angle droit pour “casser“ les charges d’éléphants et d’infanteries. On passe rapidement aussi les classiques salles des audiences privées (Diwan-i-Khas) et publiques (Diwan-i-Am) avant de voir les différents palaces. Seul 1/3 peut être visité car le reste est toujours occupé par l’armée.
Pour parcourir la forteresse, on s’est laissé convaincre à l’entrée par Kamal, un jeune guide francophone à la langue bien pendue mais cependant très sympathique et avec un humour corrosif surtout au sujet des femmes et des belles-mères… j’ai adoré ! Il ne s’est pas contenté de nous raconter l’histoire du fort, il nous a également parlé de sa vie et notamment de son mariage… arrangé, comme le veut la tradition. Il nous expliqua qu’il n’a pas vu sa femme avant le jour de la noce (et encore, elle était voilée jusqu’au soir !) et ce sont les beaux-parents qui sont venus le trouver en lui proposant une substantielle dote contenant une voiture, un écran plat et des meubles !! Raconté avec humour et un accent indien, ça peut faire sourire mais en y repensant, ce n’est finalement pas si marrant. En insistant pour en savoir plus sur cette coutume ancestrale, Kamal nous avoua que durant toute la première année sa femme s’enfermait dans sa chambre pour pleurer. En Inde, lorsqu’une fille se marie, elle quitte son foyer et rejoint celui de son mari qu’il partage souvent avec ses parents et ses grands-parents. Après le mariage, la jeune épouse ne reverra que très rarement sa famille et cette séparation est d’autant plus difficile qu’elle est obligé de s’unir à un inconnu qu’elle n’aimera avec le temps………. ou pas ! Mais notre Kamal reprend vite son air enjoué et nous confie être très content d’avoir eu une voiture qu’il n’aurait jamais pu se payer si jeune !!
La visite du fort terminée et avec le soleil couchant, notre chauffeur nous a déposé en face du Taj Mahal sur l’autre rive de la rivière Jamuna. Le spectacle est magnifique et le soleil rougit la façade ouest du palace.

Après ce crépuscule un peu magique, on a assisté à un autre spectacle qui l’était beaucoup moins et dont nous étions les acteurs : trouver une chambre d’hôtel !! Jusque là, Adèle a toujours booké notre hébergement à l’avance via des sites comme Booking, Agoda, Airbnb, Hostelworld, etc. Mais pour Agra, on a écouté notre chauffeur qui nous déconseillait la guesthouse que nous avions réservé car trop éloignée à son goût du centre (environ 18 km) et dans un quartier qu’il ne connaissait pas. On a donc annulé notre chambre et on s’en est remis à Gulatipour nous trouver un hébergement. Mais c’était sans savoir qu’il y avait un congrès mondial d’ophtalmologistes ayant raflé toutes les chambres de la ville et multiplié les tarifs par 5 pour les rares disponibles !! Et c’est ainsi,un peu claqué après 6h de bagnole et les visites de Fatehpur Sikri et du fort d’Agra, qu’on s’est retrouvé à faire la tournée des hôtels !! Après 1h30 et une quinzaine d’établissements visités, la fatigue et l’agacement commençaient à nous faire monter en température. Les seules chambres disponibles étaient des taudis où il fallait dormir habillé dans des draps tâchés et déchirés. Idem dans la minuscule salle de bain où il était plus prudent de mettre ses tongs sur les carrelages cassés aux joints noircis et à la robinetterie tellement rongée par le calcaire qu’un litre de Viakal n’aurait pas suffit à enlever la croûte verdâtre !! Et tout ça au même prix qu’une nuit dans un haveli à Udaipur…
Lassés, nous en étions à préférer dormir dans la voiture quand notre chauffeur est allé voir la disponibilité dans un hôtel “gouvernemental“ réservé normalement aux Indiens. L’établissement était à 8 km du centre dans un quartier où nous étions les seuls étrangers et attraction de la petite rue où Gulati avait garé sa voiture. Toute la foule de la rue nous observait avec insistance et surtout Adèle, largement matée par tous les mecs ! On avait déjà fait tous les hôtels de la rue avant de revenir bredouille à la voiture et cette fois notre chauffeur est parti seul. Après 10 min d’attente, il revient en nous annonçant que le réceptionniste veut bien nous accepter. En découvrant l’hôtel au fond d’une impasse lugubre, on se rend compte qu’on avait déjà vu le bâtiment lors de nos recherches à pied et qu’on l’avait éliminé d’office vu l’état de la façade extérieure… N’ayant plus rien à perdre et ne voulant pas froisser le chauffeur, on visite la chambre et surtout la salle de bain qui se révèlent encore assez correctes pour y passer les quelques heures avant la visite du Taj Mahal le lendemain à l’aube. L’établissement a de plus un restaurant et un bar qui nous permet de ne pas sortir de l’enceinte, sur le conseil (appuyé) de Gulati qui ne connaît pas la sûreté du quartier !! Ambiance…
Le tarif de la nuitée nous convenait, la bouffe indienne était correcte et la bière pas chère ! On a finalement passé une très bonne soirée à débriefer de cette folle journée tout en déquillant des Kingfisher Strong afin de nous donner du courage pour aller dormir dans notre “palace“ !!!

Pour voir le Taj Mahal au lever du soleil, on s’est réveillé difficilement à 5h30, pas vraiment aidé par les binouzes de la veille ! Sur le chemin, cela nous a fait tout bizarre de voir les rues d’Agra totalement désertes et calmes, sans un klaxon et sans un rickshaw !! Quel contraste avec la journée, on avait l’impression de ne pas être dans la même ville. Gulati nous a lâché à 500m de l’entrée du mausolée car il existe un périmètre interdit aux véhicules pour préserver le monument de la pollution.
Même à 7h du matin, il y a déjà une longue file qui attend pour rentrer et passer la sécurité. Et pour voir quoi ? Les magnifiques couleurs d’un lever de soleil sur cet éblouissant palais ? Que nenni, le ciel est gris, il y a de la brume et il doit faire 12° ! Je peste déjà car mes photos vont être dégueulasses !!! Equipés de nos coupe-vent et de l’audio guide disponible en français, on commence la visite par les jardins ornementaux aussi symétriques que le mausolée. Le palais est astucieusement disposé sur une plateforme de marbre blanc de sorte que le ciel soit le seul arrière plan. Aux quatre coins, on trouve les minarets purement décoratifs qui mettent encore plus en valeur le monument central. De chaque côté, il y a un bâtiment en pierre rouge, l’un est la mosquée et l’autre devait être utilisé pour les visiteurs de l’époque.
A partir de là, on se caille encore plus car il faut se déchausser et une fois en chaussettes, on se rend compte que le sol en pierre est gelé, ce qui accélère quelque peu la visite !! Une fois au plus près du mausolée et encore plus à l’intérieur, il est difficile de décrire la beauté du monument sans cumuler les synonymes de magnifique, éblouissant, merveilleux, etc. Il faut vraiment voir de ses propres yeux, le travail d’orfèvre effectué sur le marbre avec jusqu’à 43 sortes de pierres semi-précieuses incrustées sur le cénotaphe de Mumtaz Mahal. En approchant le faisceau d’une lampe de poche sur l’une des pierres, on peut distinguer la lumière qui se diffuse à l’intérieur et qui dévoile sa transparence.
Evidemment sur un tel site malgré le temps pourri et l’heure matinale, il y a un milliard de pèlerins qui se précipite pour poser devant tout et n’importe quoi. Dès l’entrée, je rage pour faire une photo correcte mais très vite je tire profit de la symétrie du Taj Mahal pour prendre des meilleurs clichés des façades Est et Ouest beaucoup moins fréquentées que devant l’allée centrale avec ses fontaines.
Malgré la courte nuit et les conditions moyennes, la visite du Taj Mahal est un moment magique où ce joyau d’architecture fait oublier la triste histoire de l’origine de sa construction. Jamais un tombeau ne respira la vie comme celui-ci et on peut sentir l’acharnement de Shah Jahan à réaliser un bâtiment aussi beau, aussi parfait et aussi pur que son amour pour sa femme disparue.
La triste histoire du Taj Mahal et de Shah Jahan :
Le Taj Mahal est souvent décrit comme le monument le plus extravagant construit par amour. En 1631, l’empereur Shah Jahan perdit sa 2ème femme, Mumtaz Mahal, lorsqu’elle donna naissance à leur 14ème enfant. Cette disparation laissa le souverain inconsolable car de toutes ses femmes, c’était la seule qu’il aimait d’un tendre et profond amour. Il est dit qu’il passa toutes ses nuits à pleurer et que ses sujets entendaient ses sanglots dans tout le fort et même à la mosquée lorsqu’il se recueillait pour prier. En souvenir de sa bienaimée, il démarra la même année la construction de ce gigantesque mausolée qui ne fut fini qu’en 1653 et nécessita quelques 20000 hommes. Le Taj Mahal est une merveille architecturale, totalement symétrique et entièrement en marbre blanc, la pierre fétiche de Shah Jahan. Les murs sont incrustés de pierres semi-précieuses qui dessinent des motifs floraux dont les couleurs sont aussi éclatantes que des vraies fleurs !
Mais l’histoire ne s’arrête pas là ! Aurangzeb, le fils de Shah Jahan, assoiffé de pouvoir et voulant à tout prix accéder au trône, tua 3 de ses frères avant d’enfermer son propre père dans le fort d’Agra pour prendre sa place. Ainsi seulement quelques années après la fin de la construction du Taj Mahal, Shah Jahan se retrouva enchaîné dans le palais Khas Mahalde la forteresse (ci-contre, sous le dôme en travaux) avec comme seule vue… le Taj Mahal ! Il y mourut en 1666 et sa dernière volonté fut d’être inhumé au côté de sa femme. Placé à gauche du cénotaphe de marbre de Mumtaz Mahal, son “faux“ tombeau est d’ailleurs le seul élément non symétrique du Taj Mahal. Les vraies tombes se trouvent dans une salle au-dessous interdite au public.
Parmi les nombreuses (fausses) légendes autour du Taj Mahal, certains guides aiment à raconter que Shah Jahan voulait construire son propre mausolée strictement identique de l’autre coté de la rive de la rivière Jamuna……… mais en marbre noir ! Et ce serait pour stopper cette folie beaucoup trop onéreuse pour l’empire que son fils le fit emprisonné. C’est aux mythes les plus déments qu’on reconnaît les monuments les plus envoûtants…
7-8/2.