3-4/1.
En arrivant à Manille, j’avais la chanson de Maxime Le Forestier qui me hantait depuis l’aéroport. C’est curieux car je ne suis vraiment pas fan de cette chanson… je préfère davantage “c’est une maison bleue“ qui me rappelle l’hymne du rang du fond au lycée et entamé après la lecture d’un devoir de philo !! Mais les paroles résonnaient en boucle dans mon crâne : « …on choisit pas sa famille, on choisit pas non plus les trottoirs de Manille, de Paris ou d’Alger, pour apprendre à marcher, être né quelque part… ».


Avant de fouler justement les trottoirs de Manille et de descendre du taxi, on a déjà eu le droit à 2 grands classiques de l’arnaque touristique. La première par le chauffeur lui-même qui m’a enfumé avec son compteur plus fatigué que son carrosse dont je n’arrivais pas à lire l’écran LCD illuminé par le soleil et surtout qui n’affichait qu’un pixel sur deux !! Il nous a bien annoncé qu’il démarrait le compteur à « seventy » (la prise en charge contractuelle pour les taxis jaunes) que j’avais pourtant bien vu au moment de quitter le terminal mais pendant toute la course, impossible de lire quoi que ce soit. Il ne connaissait apparemment pas la guesthouse et a dû s’arrêter à plusieurs reprises pour demander son chemin. Au 2ème stop quand le badaud interrogé sur le trottoir nous précise que notre hôtel est fermé mais qu’il peut nous indiquer une autre adresse “very nice“, on commence légèrement à s’agacer. C’est ça pépère, tu vas continuer ton chemin et tu vas me trouver la rue que je t’ai indiquée !! Une rue qui comme par magie était 200 m plus loin et en contournant un large rond-point occupé par une fête foraine, ô miracle, notre guesthouse était on ne peut plus ouverte !!
Devant l’hôtel dans le quartier populaire de Malate, le chauffeur réclame 560 pesos (environ 9 €) que je n’ai jamais pu lire sur le compteur mais ramené en euros, le montant ne semblant pas exorbitant, donc je paye en lui tendant un billet de 1000. A quoi il me rétorque qu’il n’a pas de monnaie et je lui propose d’arrondir à 500. Il prend le billet et me demande de compléter avec un billet “de chez nous“. Bah oui t’as raison pépère, ta course ne fait que 9 € mais je te filai un billet de 20 !! En fouillant dans mon portefeuille j’ai retrouvé 2 billets tout neufs de 1 jiao chinois, soit 0,2 yuans, soit 2 cents de nos euros. Il a pris les 2 billets et semblait satisfait du deal. Si sur le moment, j’étais super fier d’avoir refilé ma monnaie de singe, je l’étais beaucoup moins quand on a repris le taxi 2 jours plus tard pour retourner à l’aéroport et que le chauffeur a cette fois réellement mis son compteur pour totaliser une course à 220 pesos… « Un touriste qui ne se fait pas arnaquer, ce n’est pas vraiment un touriste ! » (Samy Naceri, Taxi 1).

On a enfin pu déposer notre barda et on est reparti aussitôt pour rejoindre la promenade du bord de mer afin d’observer le soleil couchant. On profite du spectacle et comme à notre habitude lors de notre arrivée dans une grande ville, on entame une petite ballade dans le quartier de l’hôtel pour repérer les lieux et un resto pour le soir. A force de fréquenter ces derniers temps des endroits très touristiques où il semblait y avoir plus d’occidentaux en shorts que de population locale, on en avait oublié les regards insistants des autochtones dans les lieux moins visités ! La petite marche le long de la jetée n’était pas agréable et Adèle était mal à l’aise de se faire dévisager de la tête aux pieds. C’est juste qu’on avait un peu oublié ce comportement déjà rencontré en Chine et à Taiwan. Même avec notre teint légèrement hâlé par le (trop) rare soleil de Koh Samui, il est clair qu’on est vite repéré avec nos tronches de blanc-bec ! On quitte le bord de mer pour s’enfoncer dans notre quartier et Adèle n’est pas plus rassurée. Il faut dire que la réputation sulfureuse de Manille la précède et que notre arrivée dans la ville nous a plutôt mis sur nos gardes. Et c’est curieux, ce ne sont pas les agents de la sécurité postés à l’entrée de chaque hôtel, restaurant ou derrière chaque ATM qui nous mettent davantage en confiance ! Sans compter l’anecdote racontée par un ami à Shanghai qui a failli se faire kidnapper dans les rues de la ville.
Il fait nuit noire et le chemin que j’avais repéré pour notre “ballade“ nous fait passer par des rues sans lumière et ma jeune épouse de moins en moins à l’aise me demande de presser le pas pour rentrer à l’hôtel. Pour une fois qu’elle ne me reproche pas de marcher trop vite !!
De retour à la guesthouse, on se remet de nos petites émotions en profitant de l’happy hour et découvrons le “bucket“, un seau rempli de 6 bouteilles de bière locale au choix : San Miguel light pour les compteurs de calories ou Red Horse pour les soiffards qui veulent rapidement monter dans les tours ! Le tout proposé à 300 pesos, soit un peu moins de 5 €. Au bar, on fait la connaissance d’Olivier, un français expatrié depuis 7 ans aux Philippines et à qui appartient la guesthouse. Avec son frère, ils ont également investis dans un petit resort sur l’île de Bohol. Grâce à lui, on apprendra beaucoup de choses très intéressantes sur Manille et sur la façon de faire du business avec les Philippins. Il nous racontera également beaucoup d’anecdotes sur les choses à faire mais surtout à ne pas faire dans la capitale philippine…
Il était près de 21h et on n’avait toujours pas dîné mais Olivier nous proposa de l’accompagner dans un bar un peu plus loin pour faire un billard et qui cuisine  également de la bouffe “correcte et pas chère“. Sur le moment, on a tiqué et on s’est demandé pourquoi il ne nous conseilla pas plutôt de goûter à la cuisine de son propre établissement mais on a vite accepté sa sympathique proposition et c’est ainsi qu’on s’est retrouvé au « Rolling Stone » avec deux de ses potes chinois. Où que tu sois dans le monde, je crois que tous les bars à billards se ressemblent : grands, enfumés et faiblement éclairés avec la seule lueur des lampes au-dessus des tables ! Dès notre entrée, nous avons le droit à un accueil de chef d’état par les adorables serveuses de l’établissement, nos 3 compères étant visiblement des habitués et notre hôte nous a présenté “the doctor“, homme d’expérience et champion incontesté du lieu. Olivier a payé son bucket de San Mig light (SML) et Adèle et moi avons snacké avec ce qu’il restait de disponible sur la carte. Et bien sûr, je me suis pris une branlée au billard…
Le lendemain, on est parti à pied de l’hôtel pour visiter Intramuros, la vieille ville située un peu plus au nord de notre hôtel. La veille au soir, Olivier nous avait conseillé des endroits sympas mais à Manille, il n’y a pas grand chose à voir. Il nous avait également suggéré Makati, le quartier des affaires où sont concentrés tous les hôtels 5 étoiles et qui contraste sévèrement avec le reste de la ville.
On a d’abord traversé le parc José Rizal du nom du célèbre poète, écrivain et médecin, grand héros national et qu’on retrouve un peu partout dans la ville. Ensuite en cherchant le chemin d’accès à Intramuros, on a longé le mur d’enceinte pour se retrouver dans une sorte de parc pas très large dans lequel semblaient vivre des familles entières. On a évidemment eu le droit à des bonjours amicaux et curieusement, malgré la misère environnante, on ne ressentait pas ce sentiment d’insécurité comme la veille………… mais on ne s’est pas attardé non plus ! Le plus stupéfiant est que derrière ces fourrés et le mur d’enceinte, on peut y apercevoir le golf et son green verdoyant et bien entretenu !! Les joueurs ont leur caddie et un garde les accompagne pour leur sécurité, le contraste est saisissant…


Une fois à l’intérieur d’Intramuros, l’atmosphère est totalement différente et on n’a absolument pas l’impression d’être dans la même ville. Le vacarme des moteurs et des klaxons a soudain disparu et il se dégage des vieilles pierres une ambiance calme et sereine. Les rues sont désertes et on a vraiment l’impression d’être dans une ville espagnole à l’heure de la sieste ! Imperceptible à l’extérieur, une fois dans ces ruelles, on peut enfin apercevoir l’héritage architectural des conquistadors.




Bientôt la cathédrale de Manille se dresse devant nous avec son clocher en travaux qui vient me pourrir mes photos ! Puis l’église de Saint Augustin où en ce samedi on peut apercevoir la célébration d’un mariage. Cette dernière construite entre 1587 et 1606 est la plus vieille des Philippines et le seul bâtiment d’Intramuros à ne pas avoir été détruit pendant la seconde guerre mondiale et la fameuse bataille de Manille pour y déloger l’occupation japonaise.

On finira la visite par le Fort Santiago érigé en 1590 sur l’emplacement d’un ancien bastion indigène musulman qui garde l’embouchure de la rivière Pasig. Symbole de la colonisation espagnole, il l’est d’autant plus qu’il a été la geôle de la figure du pays, José Rizal, avant qu’il ne soit fusillé le 30 décembre 1896 à l’âge de 35 ans. Le bâtiment où il a été incarcéré est devenu aujourd’hui un sanctuaire intégrant un petit musée rassemblant ses écrits, des meubles ainsi que des vêtements.



Pour rentrer à la guesthouse, on a pris un tricycle à la sortie du fort et notre jeune chauffeur a bien transpiré sur ce long trajet que l’on fait habituellement en taxi. Sa monture pas très rigide et au braquet un peu modeste est davantage dédiée à emmener les touristes faire le tour d’Intramuros. Malgré la distance et la circulation où il a dû jouer du guidon pour tracer sa route au milieu des voitures et des jeepneys, notre garçon a toujours gardé le sourire. On a traversé les mêmes rues (inquiétantes) que la veille mais on avait un tout autre sentiment à bord de notre bécane grinçante qui roulait péniblement à quelques centimètres du sol. Les gens assis devant leur immeuble et surtout les enfants nous faisaient des signes de la main, les autres “pilotes“ de tricycle nous saluaient systématiquement et tout le monde arborait un large sourire chaleureux en nous voyant. Rien à voir avec les regards oppressants de la veille… Nous avons enfin commencé à nous sentir “bien“ dans cette ville !
On a abrégé les souffrances de notre jeune conducteur en l’arrêtant un peu avant l’hôtel au Robinsons Mall pour y trouver une pharmacie et enfin soigner une vilaine toux qu’on traîne depuis Bangkok. Encore plus que dans les autres métropoles asiatiques, le contraste est d’autant plus fort entre ce rutilant centre commercial avec ses enseignes de luxe et ses larges hall climatisés en comparaison des trottoirs brûlants où dorment non loin des femmes avec leurs enfants sur un simple carton à même le sol !! A la sortie, les insolites jeepneys qui ne sont pas prêts de passer les normes anti-pollution européennes font la file pour emmener leurs passagers dans toute la ville.

De retour à la guesthouse, on a débriefé de notre journée avec Olivier qui nous a trouvé au même emplacement que la veille : autour d’un bucket de SML !! On est ensuite allé dîner dans un restaurant qu’Adèle avait repéré de l’autre côté de la place. En revenant, on a traversé la petite fête foraine en nous mêlant à la foule agglutinée aux stands de bingo qui entouraient les manèges pour mouflets. L’ambiance était “bon enfant“ et tout le monde s’amusait bien.  Mais de l’autre côté de la chaussée, dans le noir, il y avait toujours ces femmes qui dormaient sur le sol avec leurs bambins !
« …être né quelque part… ».